A Cuba, les anoles des milieux suburbains diffèrent de ceux des milieux naturels

L’urbanisation est un phénomène grandissant, avec de nombreuses conséquences sur les espèces. A Cuba, le lézard Anolis homolechis, endémique de l’île, s’accommode à la fois d’environnements naturels et suburbains. Une comparaison entre les populations vivant dans ces deux habitats montre cependant des variations.

Pour comprendre l’effet du type d’environnement sur les anoles de l’espèce A. homolechis, Annabelle Vidal n’a pas fait dans la demi-mesure. Plus de 800 individus ont été capturés, dans quatre endroits différents : deux zones naturelles protégées de Cuba et deux zones entourant des villes.

Annabelle travaillant sur le terrain

Tous les mois pendant un an et demi, elle s’est rendue elle-même dans chacun de ces sites pour capturer tous les anoles qu’elle y croisait. Contrairement à la plupart des études de ce type, aussi bien les mâles que les femelles ont été étudiés. Les animaux ont subi une batterie de mesures : longueur du corps, taille du fémur, masse corporelle. Le sexe des individus a pu être déterminé basé sur la présence d’un fanon gulaire, une membrane de peau présente sous la gorge des mâles. L’âge a également été estimé (adultes vs subadultes pour les mâles, mature ou immature pour les femelles). Enfin, la base de la queue a été inspectée pour déterminer si le lézard avait subi, au cours de sa vie, une autotomie. Ce moyen de défense permet à certains lézards de se séparer d’une partie de leur queue, distrayant ainsi le prédateur et lui permettant de s’échapper. Tous les individus capturés se sont vu injecter un marquage sous la peau, sous forme de tags colorés, permettant de reconnaitre individuellement chaque lézard et évitant ainsi de considérer plusieurs fois le même individu.

Implants colorés visibles sous la peau de l’animal

L’analyse des résultats montre que les lézards des zones suburbaines sont globalement plus grands que ceux des milieux naturels. Ils ont aussi, à taille égale, des pattes plus longues et un poids plus important, ce dernier faisant état d’une meilleure condition corporelle. Au contraire, les lézards des milieux suburbains semblent avoir subi bien plus d’autotomie que ceux des milieux naturels.

Plusieurs explications peuvent être avancées quant à ces différences. La taille des pattes pourrait ainsi résulter de la plasticité phénotypique des animaux : ceux-ci développeraient des pattes plus adaptées à un environnement dans lequel ils doivent évoluer sur des surfaces artificielles. Leur meilleure condition corporelle pourrait, elle, résulter d’un accès facilité à la nourriture. En effet, l’accumulation de déchets autour des villes, en attirant les insectes, pourrait leur être bénéfique. Leur plus grande taille résulterait directement de leur meilleure condition corporelle, améliorant directement leur survie et leur permettant ainsi d’atteindre des tailles plus importantes qu’en forêt.

Mesure d’un lézard anole

L’apparente perte de la queue plus importante chez les lézards des milieux suburbains comparés aux lézards des forêts peut avoir une explication contre-intuitive. Il est en effet possible que les prédateurs des premiers types de milieux, tels que les chats domestiques, soient simplement moins efficaces que les prédateurs sauvages, laissant ainsi plus souvent leurs proies s’échapper vivantes, mais sans queue.

Cette étude est l’une des seules à avoir étudié l’effet de l’urbanisation sur une espèce endémique plutôt que sur une espèce invasive. Elle confirme certains résultats observés chez d’autres espèces d’anoles. L’effectif important, et surtout la prise en compte des individus des deux sexes, ont permis de révéler de nouveaux résultats. Ainsi, des différences de sexe-ratio et de dimorphisme sexuel ont aussi été mises en évidence entre les deux environnements. De futures études pourraient permettre de confirmer l’effet de l’habitat sur ces deux facteurs tout en éclairant mieux les raisons de ces différences. L’impact de l’habitat sur d’autres paramètres, tels que la survie et de la différentiation génétique entre les populations, est par ailleurs en cours d’analyse.

 

A propos de l’auteur

Annabelle Vidal termine actuellement sa thèse de doctorat sur le maintien des populations du lézard Anolis homolechis en milieu suburbain, grâce au financement de Caribaea Initiative. Elle participe également au projet MERCI sur les espèces de reptiles exotiques envahissantes, notamment via la formation à l’étude des anoles des partenaires des différentes territoires concernés, et à la participation aux sessions de suivi des lézards invasifs.

 

Référence

Vidal, A., Iturriaga, M., Mancina, C.A. & Cézilly, F. (2022). Differences in sex ratio, tail autotomy, body size and body condition between suburban and forest populations of the Cuban endemic lizard Anolis homolechis. Urban Ecosystems, https://doi.org/10.1007/s11252-022-01259-y.