Des pièges photos pour espionner les colombidés

Les pigeons, colombes et tourterelles jouent un rôle crucial dans la dynamique et la diversité de nombreux écosystèmes, grâce à leur capacité à disperser les graines. Leur déclin pourrait donc affecter d’autres espèces tant animales que végétales. Dans la Caraïbe insulaire, les informations sur les colombidés restent limitées. Dans une étude récente, l’utilisation de piège photographiques a permis d’en apprendre davantage sur trois espèces aviaires.  

La Guadeloupe compte plusieurs espèces de colombidés, telles que la colombe rouviolette (Geotrygon montana), la colombe à croissants (Geotrygon mystacea), ou encore la tourterelle à queue carrée (Zenaida aurita), qui y est particulièrement chassée. Ces trois espèces qui se nourrissent au sol, principalement de graines et de fruits tombés des arbres, ne sont pas considérées comme menacées à l’échelle globale. Cependant, leurs populations sont signalées en déclin, en particulier dans les îles des Caraïbes.

Pour connaitre leur état actuel de conservation, mais aussi mieux comprendre les habitudes de vie de ces espèces ainsi que les menaces qui pèsent sur elles, Aurélie Jean-Pierre a déployé sur le terrain un arsenal de pièges photographiques. Après avoir sélectionné 24 sites sur le territoire entier, dispersés dans plusieurs écosystèmes différents (forêts sèches, forêts tropicales humides et forêts inondées dont les mangroves et les forêts marécageuses), elle y a disposé dans chacun 5 appareils photo. Ceux-ci étaient arrimés à des troncs d’arbres, à une vingtaine de centimètres au-dessus du sol, permettant de photographier automatiquement tout animal passant devant, jour et nuit, 24h sur 24h, pendant deux sessions durant chacune une semaine complète.

Colombe à croissants (Geotrygon mystacea)

Au cours des deux sessions de pièges photo menées sur chaque site, ce sont près de 10 000 images qui ont été capturées, représentant de nombreuses espèces dont 351 colombes à croissants, 198 tourterelles à queue carrée et seulement 14 colombes rouviolette. L’analyse des données a permis de mieux comprendre l’abondance de ces espèces ainsi que leur préférence pour les différents types d’écosystèmes : la colombe à croissants préfère ainsi les forêts tropicales humides, tandis que les tourterelles à queue carrée ont été davantage photographiées dans les forêts sèches et les forêts inondées. Certains paramètres mesurés sur le terrain jouent aussi un rôle : la tourterelle à queue carrée montre ainsi une préférence pour des milieux ouverts, avec une canopée peu dense, tandis que des hautes températures affectent négativement la colombe à croissants, un résultat inquiétant dans le contexte actuel de réchauffement climatique.

Les nombreuses autres espèces photographiées ne l’ont pas été en vain. En particulier, la Guadeloupe compte de nombreuses espèces exotiques envahissantes, dont des prédateurs potentiels pour les colombidés : petites mangoustes indiennes, rats, ratons laveurs, chats et chiens domestiques. Les chercheurs ont ainsi pu déterminer la co-occurrence à la fois spatiale et temporelle de ces espèces avec les colombidés, et comprendre quels prédateurs posent un risque pour chacune des espèces étudiées. La présence de mangoustes, de chats et de chiens dans les habitats forestiers est ainsi particulièrement préoccupante.

Tourterelle à queue carrée (Zenaida aurita)

L’utilisation de pièges photographiques, lors de cette étude, s’est avérée être une technique fructueuse. Elle dispose d’avantages non négligeables sur les autres méthodes d’étude. En effet, il peut être difficile d’observer des oiseaux, en particulier des espèces aussi discrètes, dans des forêts aux peuplements denses. Les techniques de capture des oiseaux, notamment avec des filets, sont très efficaces mais requièrent un effort conséquent en termes de logistique. A des fins de conservation, les auteurs encouragent ainsi l’utilisation de pièges photographiques de manière régulière et répandue dans les autres îles, afin de mieux comprendre les paramètres démographiques de ces espèces à une échelle plus large.

 

Références

Jean-Pierre, A., Loranger-Merciris, G., Cézilly, F. (2022). Spatial occupancy, local abundance and activity rhythm of three ground dwelling columbid species in the forests of Guadeloupe in relation to environmental factors. Diversity, 14, 480.

 

A propos de l’auteur

Aurélie Jean-Pierre poursuit actuellement un doctorat à l’Université des Antilles (Guadeloupe), sous la direction du Dr. Gladys Loranger-Merciris et du Pr. Frank Cézilly. Ses recherches sur l’impact des facteurs environnementaux sur la présence et l’abondance relative de plusieurs espèces d’oiseaux sont cofinancées par le ministère de l’enseignement supérieur, l’association Caribaea Initiative et l’Office Français de la Biodiversité (OFB).