Crabes des mangroves et bactéries : une symbiose sur les branchies

Dans les Caraïbes, les mangroves constituent des écosystèmes côtiers uniques, abritant une faune marine et terrestre variée. Certains de ces animaux établissent des associations symbiotiques avec des bactéries, tels que des mollusques, des nématodes ou encore des méduses. De récentes découvertes dans d’autres mangroves du globe suggèrent qu’il pourrait en être de même chez certains crustacés. Une supposition qui vient tout juste d’être confirmée.

Armée d’un arsenal d’outils scientifiques variés – microscope électronique à balayage, microscope électronique en transmission et méthodes d’extraction, d’amplification et d’analyse de l’ADN – Naëma Béziat s’est attachée à décrire les bactéries présentes sur les crabes des mangroves. C’est sous les palétuviers rouges de Guadeloupe qu’elle a récolté une soixantaine de ces crustacés : la moitié appartenant à une espèce de crabes arboricoles, Aratus pisonii, capturés à même les arbres, et l’autre moitié appartenant à une espèce de crabes violonistes, Minuca rapax, présents sur le sédiment.

Une fois ramenés en laboratoire, une partie bien spécifique des crabes a été préparée pour une séance de microscopie à haute résolution : les branchies. Et pour cause, c’est à cet endroit que des bactéries ont également été découvertes chez d’autres crabes des mangroves d’Afrique ou du Moyen-Orient. Les images, impressionnantes, révèlent un biofilm bactérien tantôt irrégulier, tantôt recouvrant toute la surface de la branchie, composé de quatre types de bactéries de taille variable et spécifiques à chacune des deux espèces. Les analyses moléculaires de l’ADN bactérien le confirment : les deux espèces de crabes sont porteuses de communautés bactériennes distinctes, en dépit du fait qu’elles vivent toutes deux dans les mêmes mangroves. Les bactéries retrouvées ne sont tout de même pas anodines, puisque des souches similaires ont été retrouvées chez d’autres crabes des mangroves, vivant dans des endroits géographiquement très éloignés tels que le Kenya, l’Afrique du Sud, ou même la Chine. Ainsi, si l’existence de bactéries adaptées aux crabes des mangroves semblent se préciser, les différences retrouvées entre les deux espèces de crabes suggèrent que les communautés bactériennes varient au niveau local. Les deux crabes évoluent dans des environnements aux caractéristiques différentes, l’un d’eux vivant essentiellement sur les racines aériennes des arbres tandis que le deuxième reste exclusivement sur le sédiment, ce qui pourrait expliquer ces variations.

 

Les images microscopiques révèlent la présence d’un biofilm composé ce bactéries de tailles variables.

 

La question se pose alors de la nature de l’interaction entre les bactéries et leurs hôtes crustacés. A ce stade, pas de réponse certaine, mais des suggestions basées sur des indices. En effet, un coup d’œil sur les images microscopiques révèle que les bactéries se trouvent exclusivement à la surface des branchies : les cellules de l’hôte ne sont pas colonisées. De plus, les résultats des analyses génétiques ont été comparés avec des bases de données, et le profil génétique des bactéries majoritaires ne coïncide avec aucune bactérie pathogène connue chez les crustacés. Enfin, l’absence de lésions soutient l’hypothèse que cette relation purement ectosymbiotique n’est probablement pas de type parasitaire. Les bactéries pourraient ainsi être commensales, voire bénéfiques pour leurs hôtes. Un mystère qui reste encore à élucider.

 

A propos de l’auteur

Naëma Beziat prépare actuellement une thèse de doctorat à l’Université des Antilles, en Guadeloupe. Elle étudie y les ectosymbiontes bactériens colonisant les branchies et l’endophragme des crabes des mangroves. Elle bénéficie pour son projet du soutien financier de l’association Caribaea Initiative.

 

Référence

Béziat, N.S., Duperron, S., Halary, S. Azede, C. & Gros, O. (2021) Bacterial ectosymbionts colonizing gills of two Caribbean mangrove crabs. Symbiosis, https://doi.org/10.1007/s13199-021-00801-4