Un tournant pour Haïti : fraichement diplômé, Jean-Marry Exantus ouvre la voie aux recherches en écologie urbaine et biologie de la conservation dans son pays natal

C’est un succès historique pour Haïti. Jean-Marry Exantus vient de soutenir avec succès sa thèse de doctorat, la première à la fois en biologie de la conservation et en ornithologie dans le pays. Alliant passion et ténacité, Jean-Marry Exantus prouve ainsi qu’il est possible pour les Haïtiens de s’engager dans la sauvegarde de leur patrimoine naturel en développant une expertise scientifique de niveau international dans l’étude et la conservation de la biodiversité.  

Le mercredi 25 octobre 2023 marquera l’histoire de la recherche scientifique et de la conservation de la biodiversité en Haïti. Ce jour-là s’est tenue la soutenance de thèse de doctorat de Jean-Marry Exantus à l’Université des Antilles, en Guadeloupe. Devant un public fourni, présent sur place ou en visioconférence, l’impétrant a présenté, pendant 45 minutes, ses travaux consistant en une « Contribution à l’étude de l’avifaune de la République d’Haïti en milieux urbain et naturel », avant de répondre pendant plus de deux heures aux questions du jury, composé d’un panel de chercheurs internationaux. Les membres du jury ont été unanimes pour souligner la qualité exceptionnelle de cette thèse, attestée par pas moins de cinq publications dans des revues internationales à comité de lecture, un véritable tour de force, bien au-dessus de la moyenne de production scientifique usuelle pour une thèse de doctorat. C’est donc sans surprise qu’à l’issue de cet oral, le jury a décerné au candidat le titre de Docteur de l’Université des Antilles. Un moment de fierté fort émouvant pour Jean-Marry et ses proches, mais aussi pour ses encadrants, pour les associations Caribaea Initiative et FOKAL qui ont soutenu ses travaux, et pour son pays tout entier.

 

Haïti – un pays en manque d’experts scientifiques à l’échelle locale

Corneille d’Hispaniola (Corvus leucognaphalus)

Haïti abrite des écosystèmes uniques et des espèces endémiques, c’est-à-dire présentes nulle part ailleurs sur la planète. Cependant, cette biodiversité est menacée par de nombreux facteurs, tels qu’une intense déforestation, la perte d’habitat, le changement climatique et d’autres pressions anthropiques croissantes. En dépit de ces menaces, la recherche dans le domaine de la biodiversité et de la conservation reste extrêmement limitée.

Dans ce contexte critique, il est crucial d’encourager et de soutenir la formation de chercheurs locaux, aptes à comprendre les enjeux spécifiques liés à la biodiversité et à la conservation en Haïti. Leurs perspectives locales et leur connaissance intime du contexte socio-environnemental du pays sont essentielles pour identifier les problèmes clés et mettre en œuvre des initiatives de conservation adaptées. De plus, une recherche menée par des chercheurs issus du pays contribue à instaurer un sentiment d’implication et de responsabilité vis-à-vis de la préservation de la biodiversité, favorisant ainsi une approche plus holistique et durable de la conservation environnementale dans le pays.

 

Un tournant pour la recherche en Haïti

L’augmentation de l’expertise locale en Haïti suppose de passer outre plusieurs difficultés, en particulier le manque de moyens matériels, financiers, et humains. Depuis quelques années, l’association Caribaea Initiative soutient des étudiants et jeunes chercheurs dans la Caraïbe, dont plusieurs originaires d’Haïti, dans leur formation universitaire et dans leurs projets de recherche. Financement, aide logistique, encadrement par des chercheurs confirmés et inclusion dans un réseau local et international : le passage par Caribaea Initiative est ainsi un tremplin pour les jeunes investis dans la recherche en conservation. Grâce à l’association, 25 étudiants de master et 13 étudiants en doctorat ont pu être formés ou sont en cours de formation. En Haïti, les cinq étudiants soutenus par l’association ont d’ores et déjà contribué de manière significative à la recherche sur la biodiversité : études inédites sur des espèces endémiques et menacées, nombreuses publications scientifiques dans des revues scientifiques internationales de premier plan, et même découverte d’une nouvelle espèce de poisson au sein du Lac Miragoâne.

Jean-Marry Exantus est le premier étudiant haïtien soutenu par l’association à obtenir son diplôme de doctorat, et il sera bientôt rejoint par deux autres Haïtiens qui terminent actuellement leur thèse. Pour Jean-Marry, le titre de Docteur, au-delà de l’accomplissement personnel et de la reconnaissance académique, le conforte encore un peu plus dans sa volonté d’être un acteur clé de la sauvegarde du patrimoine naturel d’Haïti. Loin d’être attiré par un poste à l’étranger, son objectif premier reste de valoriser ses compétences au sein d’institutions haïtiennes. Il souhaite aussi encourager les jeunes haïtiens à s’investir dans l’étude et la protection du patrimoine naturel de leur pays. Gageons que les autorités du pays et les universités haïtiennes sauront rapidement l’accueillir pour lui permettre de mettre son savoir-faire au service de son pays natal.

 

 

Résumé de sa thèse

Haïti, l’un des deux pays occupant l’île Hispaniola, possède une riche diversité aviaire, marquée par un taux relativement élevé d’endémisme. Toutefois, ce patrimoine naturel est fortement menacé par la dégradation de l’environnement, liée principalement à l’urbanisation et à la déforestation. Par ailleurs, il existe un déficit critique de données scientifiques sur l’avifaune haïtienne, et la quasi-totalité des rares études réalisées ont été conduites en milieu naturel.

La thèse de Jean-Marry Exantus apporte des données importantes sur l’avifaune en Haïti, via deux axes de recherche distincts. Le premier axe examine l’avifaune urbaine de Port-au-Prince, révélant des similitudes marquées entre les populations aviaires dans des environnements forestiers et agroforestiers. De plus, l’étude de deux sites protégés en milieux urbain et suburbain met en lumière des différences significatives dans la composition des assemblages, et souligne leur complémentarité. L’étude révèle également la présence, dans les sites urbains, de deux espèces endémiques d’Hispaniola classées comme vulnérables selon l’UICN : la Corneille d’Hispaniola (Corvus leucognaphalus) et l’Amazone d’Hispaniola (Amazona ventralis).

Le second axe de recherche se concentre sur l’étude de l’avifaune en milieu forestier naturel, dans une aire protégée. L’utilisation de différentes méthodes de suivi révèle la présence de nombreuses espèces endémiques, mais également une baisse de l’abondance relative d’espèces dépendantes de la forêt et insectivores au cours du temps. Une analyse approfondie de la population du Merle de la Selle (Turdus swalesi), un oiseau endémique et vulnérable, apporte des connaissances nouvelles sur l’espèce : régime alimentaire, dimorphisme sexuel, parasites, taux de survie…

Ces découvertes soulignent l’importance cruciale de la recherche en biologie de la conservation en Haïti pour la préservation de la biodiversité, et mettent en évidence la nécessité de ressources et de soutien accrus pour poursuivre ces efforts de recherche essentiels.

 

 

Le parcours de Jean-Marry

Jean-Marry a fait des études d’ingénieur agronome à l’Université Episcopale d’Haïti, avec une spécialisation en ressources naturelles et environnement. Enrôlé dans le programme de formation de l’association Caribaea Initiative dès 2016, il a obtenu son Master à l’Université des Antilles (Guadeloupe), en initiant lors de son stage ses recherches sur la biodiversité aviaire autour de Port-au-Prince.  Jean-Marry Exantus a poursuivi dès 2018 au sein de la même université ses études de doctorat, sous la direction du Professeur Frank Cézilly (Université de Bourgogne) et du Dr. Etienne Bezault (Université des Antilles), avec le soutien financier de Caribaea Initiative et de la fondation FOKAL.

 

 

Publications scientifiques

Les articles scientifiques publiés dans des revues internationales à comité de lecture sont un outil indispensable de partage des connaissances entre les chercheurs. Au cours de son doctorat, Jean-Marry Exantus a préparé un nombre impressionnant de cinq articles, dont plusieurs sont déjà publiés ou acceptés, et d’autres sont encore en cours de préparation.

  • Exantus, J.-M., Beaune, D. & Cézilly, F. (2021). The relevance of urban agroforestry and urban remnant forest for avian diversity in a densely-populated developing country: The case of Port-au-Prince, Haiti. Urban Forestry & Urban Greening 63: 127217.
  • Exantus, J.-M. & Cézilly, F. (2023). Composition of avian assemblage in a protected forested area in Haiti: Evidence for recent decline of both forest-dependent and insectivore species. Global Ecology and Conservation 46: e02607.
  • Exantus, J.-M., Bezault, E., Cambrone, C. & Cézilly, F. (2023). Estimation of adult sex ratio and size related sexual dimorphism based on molecular sex determination in the vulnerable La Selle Thrush, Turdus swalesi. Animals 13: sous presse
  • Exantus, J.M., Vidal, A. & Cézilly F. (2023). Effects of deforestation on foraging behavior, ectoparasites, and adult survival in the vulnerable La Selle Thrush, Turdus swalesi, in Haiti. Sustainability, à paraître.
  • Exantus, J.M., Cambrone, C., Bezault, E. & Cézilly, F. (2023). Contrasted avian communities between two protected areas in the metropolitan area of Port-au-Prince, Haiti. Urban Ecosystems, à paraître.

 

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